En faisant l’analyse de mes expériences de pratique de l’altruisme, et après relecture de l’excellente trilogie d’articles sur le sujet, j’en ai tiré quelques conclusions (personnelles bien entendu) :
- être altruiste, c’est agir dans l’intérêt d’autrui, ce qui me parait être une idée plus générale que celle de « défendre le droit d’autrui » qui s’applique plutôt à des cas particuliers, le droit d’autrui n’étant pas nécessairement bafoué dans toutes les occasions qui s’offrent à nous de pratiquer l’altruisme. Quand à l’extrait de parole « donner toujours à l’intérêt d’autrui la priorité sur son propre intérêt », je le comprends dans le sens où un acte altruisme nous coute en général quelque chose, comme l’a précisé l’auteur dans un de ses commentaires : si je fais le choix de configurer le boitier TNT de ma voisine âgée de 85 ans et que je sais que je vais y passer une heure pour lui expliquer le fonctionnement, cela va me couter en dépense d’énergie mentale, et je vais le prendre sur mon temps personnel. Quand je cherche à défendre une personne que l’on critique (cf. exemple de B. Grandadam), je passe du temps à réfléchir à la stratégie de défense, je prends le risque d’écorner ma propre image, etc. tout cela me coute ! Maintenant de là à en conclure qu’un acte altruiste doit nécessairement nous couter en retour…
- autre constat : agir dans l’intérêt d’autrui, ce n’est pas chercher à lui plaire ou aller dans son sens, du moins pas toujours. Expérience personnelle : des collègues souhaitent passer un examen professionnel mais n’ont aucune envie de faire l’effort de le préparer. Cela faisait quelques années qu’ils se portaient candidat, mais ils le rataient à chaque passage. Je leur ai alors proposé de les « former », en partageant avec eux la méthode que j’avais moi-même utilisée pour y parvenir. Au départ, le programme de travail ne leur plaisait pas du tout, certains ne venaient pas aux rendez-vous que l’on s’était fixé durant la pause déjeuner. Il a alors fallu les motiver, les encourager, les persuader qu’ils étaient capables de réaliser ce travail. Souvent il a fallu être ferme, employer des mots un peu durs – mais pas trop quand même ! – au risque de les heurter, de les dégouter, mais toujours dans le but de les inciter à travailler pour qu’ils réussissent. Cela nécessitait de faire preuve de finesse car il ne fallait pas que je leur donne l’impression de leur forcer la main, que j’agissais dans un intérêt personnel dont la finalité leur aurait échappé. C’est dans ce contexte que le « bon Samaritain » n’a absolument plus rien à voir avec la bonne poire ou le naïf, mais serait plutôt une personne qui cherche à agir fermement dans l’intérêt d’autrui, tout en sachant (ou plutôt en essayant de) faire preuve de finesse et de calcul le cas échéant.
- ainsi, agir dans l’intérêt d’autrui, mais sans nécessairement chercher à lui plaire, c’est souvent prendre le risque qu’il ne le comprenne pas de la même manière, ou ne remarque pas d’emblée notre intention bienveillante et ‘‘désintéressée’’. Cela peut effectivement paraître étrange d’avoir en face de soi une personne qui insiste pour que nous réussissions un examen professionnel, surtout de nos jours, dans notre société occidentale très individualiste. Dans la première expérience d’Ostad Elahi, on retrouve aussi cette idée : si la paysanne avait été un peu moins naïve, elle aurait pu réagir négativement à l’idée qu’un homme l’accompagne ainsi jusqu’au cabinet du médecin. Elle aurait pu penser que cet homme souhaitait en réalité l’emmener ailleurs, dans un endroit qui lui aurait été préjudiciable, voire fatal, etc., et finalement refuser sa compagnie. J’ai constaté que lorsque je persévérais à agir dans l’intérêt d’autrui, me venaient souvent à l’esprit des pensées du genre : « mais que va-t-il (l’autre) finir par penser ? », « ça fait bizarre une personne qui insiste comme cela… », « je risque de gâcher ma relation… », etc. Ces pensées ont souvent tendance à démotiver et donner un coup d’arrêt à notre élan altruiste. On pourrait penser qu’elles sont à ranger dans la catégorie des pensées négatives mais en réalité elles ont une utilité : elles permettent de remettre en question notre stratégie d’agir dans l’intérêt d’autrui et d’affiner cette stratégie afin d’éviter justement de gâcher l’acte altruiste en donnant l’impression de forcer la main aux autres ou d’agir dans un intérêt douteux.